25/09/2015

Le Vacherin Fribourgeois


Le Vacherin Fribourgeois a fêté ses dix ans d'AOP début septembre (AOP = appelation d'orgine protégée, ce qu'on appelait avant AOC). Pour l'occasion, l'Interprofession du Vacherin Fribourgeois a organisé un charmant voyage de presse. Un petit tour à l'alpage pour voir la fabrication d'un Vacherin Fribourgeois suivi d'un magnifique repas cuisiné par le mythique chef Pierrot Ayer.

Alors le côté voyage de presse peut vous paraître un peu rébarbatif, mais j'ai passé une journée extra, que je vais donc vous raconter, comme d'habitude, en trop long, trop large et trop de travers, avec trop de photos et même une vidéo trop longue. Même pas peur. Peut-être faut-il commencer par vous dire que le Vacherin Fribourgeois est mon fromage préféré, et que parmi les sortes de Vacherin Fribourgeois (il y en a 6 qui dépendent de la durée d'affinage ou du type de production) c'est celui d'alpage que j'aime le plus, j'étais donc acquise avant même de partir, mais très curieuse de savoir ce que j'allais pouvoir apprendre (et goûter, on ne se refait pas).


Un petit mot d'histoire ? 

Le Vacherin Fribourgeois a longtemps été un produit "petit frère" du fameux et mythique Gruyère connu loin à la ronde, lui est toujours resté plus local, typiquement fribourgeois. Il était au départ produit dans les alpages et les laiteries avec le lait en surplus des quotas de Gruyère. Les meules sont plus petites (6 à 10 kilos), le lait est souvent cru ou thermisé et il est produit avec du lait entier (contrairement au Gruyère qui est produit avec du lait écrémé, ce qui permet l'obtention de la sublime double crème de gruyère). Le Vacherin Fribourgeois est un fromage mi-dur, affiné moins longtemps (entre 3 et 9 mois au maximum alors qu'on trouve des Gruyères de 24 mois par exemple) et, surtout, beaucoup plus crémeux. C'est grâce à lui que les fondues, les vraies, celles du Canton de Fribourg, existent.

Un petit mot sur la fondue, quelles sont celles que je considère comme les vraies fondues ? La moitié-moitié (Gruyère et Vacherin Fribourgeois) ou la fondue au Vacherin, évidemment. La seule autre qui a grâce à mes yeux car elle obtient une texture similaire à la moitié-moitié, c'est celle de Haute-Savoie dans la vallée d'Abondance car ils produisent de l'Abondance, cousin proche du Vacherin Fribourgeois, mais je m'égare. A chaque fois que quelqu'un essaie de me faire goûte une autre fondue, imanquablement, je trouve sa texture et son goût décevant. (Meilleure adresse à Lausanne : la Pinte Besson. Point barre, pas de discussion.) (Oui, je suis une ayatollah de la fondue, j'assume.)

Revenons à nos meules. Le Vacherin Fribourgeois est un fromage connu donc grâce au développement de la fondue, mais trop méconnu à la coupe (ou "à la main" comme disent les fromagers de la région), alors que grâce à son crémeux, à son goût inimitable et à sa capacité à fondre à basse température (en-dessous de 50 degrés), il a toutes les qualités nécessaires pour un très grand nombre d'autres plats ou juste pour mes tartines.



L'alpage Vounetz


Arrivés à l'alpage, Germain, le père, et Beat, le fils, Piller nous ont montré comment ils "sortent" le Vacherin Fribourgeois. C'est-à-dire : après avoir fait caillé le lait entier, cru, dans un énorme chauderon au dessus du feu de bois, comment ils récoltent, dans des toiles de gaze, le caillé quand il a atteint sa taille et sa texture de grains optimales. C'était très impressionnant à observer, on devait être une vingtaine de journaliste et autres acteurs du Vacherin Fribourgeois qui nous accompagnaient, dans cette petite pièce de chalet d'alpage, autour du chauderon, et ils ont sorti 7 Vacherins Fribourgeois parfaits tout en continuant à répondre à nos questions. Je vous laissse observer, car je n'ai pas résisté à les filmer pendant l'exercice. Je m'excuse de la basse qualité des images, je n'avais emmené que mon téléphone et un chalet d'alpage ce n'est pas très lumineux. Mais ces quelques séquences mises bout à bout permettent d'observer les gestes, d'écouter l'accent gruyèrien (et sa traduction en Suisse-Allemand sur certaines séquences), d'entendre le silence concentré des fromagers et des journalistes pendant la sortie des Vacherins et la passion des Piller pour leur métier.



Il restait moins d'une poignée de caillé au fond du chauderon à la fin de l'exercice. C'est ce savoir-faire humain qui est particulièrement impressionnant derrière nos fromages d'alpage, tout est fait à la main, à l'expertise, à l'oeil. Beat a parlé avec beaucoup de délicatesse (et plus longuement que l'extrait ici) de combien il utilise ses cinq sens pour sentir le fromage et l'adapter au quotidien, le caillé ne sera pas le même selon la météo du jour, tellement changeante en montagne. Il faut aimer ce produit et le respecter pour réussir à le "sentir" au mieux. L'artisanat dans toute sa splendeur.


Ils nous ont ensuite permis de visiter leur "chambre à lait", c'est-à-dire la pièce où ils gardent le lait des traites, les meules de fromage avant de les descendre à la cave d'affinage, le sérac, la double-crème et autres merveilles, pas de réfrigération ici, mais un grand bac avec de l'eau, toujours fraiche en montagne. Puis nous sommes tous montés nous installer autour de leur grande table où ils nous avaient préparé des planchettes avec Gruyère, Vacherin Fribourgeois et leur sérac (le meilleur que j'ai jamais mangé, de très loin), ainsi que de la merveilleuse double crème crue à se damner. Et là ils se sont un peu détendus face à nos questions apparemment pas si connes pour des journalistes (et une blogeuse). C'était très intéressant de les écouter raconter leur vie de famille rythmée par les estives et leur amour de l'alpage, leur volonté de perpétuer les traditions tout en étant très attachés à produire la meilleure qualité possible, même si ça a demandé de nouveaux aménagements dans leurs méthodes et dans leur chalet.


C'est là que l'Interprofession du Vacherin Fribourgeois entre en jeu d'ailleurs, elle aide les producteurs à maintenir une qualité irréprochable sur un produit qui était, il y a quelques décennies, parfois critiqué pour ses qualités inégales. Ce n'est plus le cas, un fromage qui n'obtiendrait plus la note maximale perdrait son droit à l'appellation. Chaque meule est contrôlée, on m'a détaillé le système de notation, le niveau d'exigence m'a beaucoup impressionné.

Beat nous a raconté également le changement majeur qui a eu lieu lorsque les femmes sont montées dans les alpages, avant toujours tenus par des "garçons vachers". Plus attentives à la propreté, plus précises, plus concentrées sur l'application des mêmes recettes à tous les produits, elles ont permis un énorme saut en qualité pour ce produit rustique qui était parfois moins soigné que son grand frère. C'était un plaisir d'entendre ça, et un vrai bonheur de les rencontrer, j'aurais volontiers passé la journée à les écouter.


Leur chalet d'alpage, l'Alpage Vounetz, est visitable à la belle saison, en y montant en randonnée ou même directement depuis un télécabine/télésiège. Ils vous y accueillent avec leurs produits d'alpages et avec leur générosité hors pair. Lors de la visite du Club des Chefs des Chefs (le club qui rassemble les cuisiniers des chefs d'Etat) en Suisse en 2015, c'est dans cet alpage qu'ils ont eu le plaisir de découvrir le terroir du Gruyère et du Vacherin Fribourgeois, j'ai eu la chance de les rencontrer le lendemain de leur visite, ils en parlaient avec des étoiles dans les yeux. Je ne peux que vous recommander cette visite dès l'été prochain pour comprendre cette mythique gruyère et ses produits.


Pour en revenir à l'Interprofession, à notre arrivée à Bulle, tous les journalistes (et moi) avons été séparé par 3 ou 4 afin de monter en 4x4 aux deux alpages du jour. J'ai eu la chance de tomber avec Jérôme Raemy, contrôleur qualité des Vacherin Fribourgeois d'alpage, un représentant de iTaste (qui a fait un super article) qui découvrait le vacherin et un journaliste de la Gruyère spécialisé (par gourmandise) en terroir. Les 3 trajets nous ont permis des discussions vives et passionnantes autour du produit, mais aussi de la profession de fromager, du prix du lait, des quotas... et des edelweiss. C'est au détour d'une question que j'ai donné le nom de "mon" fromager à Lausanne, André Macheret, que Jérôme a éclaté de rire... ils font de la peau de phoque ensemble. Je réitère tout mon amour pour Macheret chez qui vous trouvez donc les meilleurs Vacherins Fribourgeois de Lausanne, dont des fromages d'alpage, dont probablement des fromages de Beat et Germain Piller. Petit monde qui oeuvre à ma gourmandise, quel bonheur. (La boutique de Macheret est à la rue Pré-du-Marché 3, il tient également un stand au marché le mercredi et le samedi matin, vous le reconnaissez facilement, c'est une remorque avec une fière grue gruyérienne sur le flanc.)



Pierrot Ayer cuisine le Vacherin Fribourgeois



Après Vounetz, on a eu la chance de découvrir le chalet Jaquettaz qui appartient à un ami de Pierrot Ayer. Pour ceux qui ne connaitraient pas ce chef Fribourgeois, il est classé 18/20 au GaultMillau depuis 2014 avec son restaurant le Pérolles, il est totalement amoureux de son terroir natal, passionné et défenseur acharné de la Poire à Botzi, du Vacherin Fribourgeois, des traditions culinaires locales, de la Bénichon. Pour ne rien gâcher, c'est un homme adorable, généreux et curieux. Et c'est donc l'ambassadeur du Vacherin Fribourgeois pour lequel il a développé un livret de recettes.


Accueillis par une fondue au Vacherin Fribourgeois, évidemment, nous avons ensuite eu le privilège de goûter à certaines de ses recettes, tout en poursuivant une discussion animée, ce qui n'est jamais très compliqué entre gourmands et passionnés de produits du terroir. J'ai trouvé l'idée de la fondue "d'apéro" excellent, des cubes de pain, des pics à brochettes pour tremper dans les caquelons, c'est parfait.


Mon plat préféré a été le premier servi, sans surprise, le burger. Il le prépare en version mini, avec de la cuchaule, du foie gras, une compotée de poire à botzi et, évidemment, du Vacherin Fribourgois. C'est juste parfait. Le foie gras et la cuchaule je le savais déjà, la compotée de poire à botzi et le Vacherin aussi, les quatre ensemble c'est sublime, je ne vais pas me priver de réiterer cette recette. J'avais inventé un Bénichon Burger, avec également cuchaule et vacherin fribourgeois, où j'avais utilisé de la moutarde de Bénichon. La cuchaule a de beaux jours devant elle en pain à burger ! (Si je vous dit que la meilleure que l'on trouve à Lausanne c'est aussi chez Macheret vous allez finir par ne plus me croire ?)


Ont suivi un duo d'agneau accompagné d'un gratin de pomme de terre au Vacherin Fribourgeois, c'était délicieux, mais j'avoue vouer un culte au fameux gratin Girardet, et un dessert "tout simple" : vin cuit (je n'en ai jamais mangé d'aussi bon), double-crème (est-il nécessaire de préciser quoi que ce soit à ce sujet ?) et meringue. BAM.

Si, si, il y a du bon vin dans le canton de Fribourg.


Le plus dur venait ensuite : il fallait quitter l'alpage, même menaçant d'orage, pour rejoindre la morne plaine et la vie citadine. Heureusement, pour supporter le choc, on a tous reçu un livre intitulé "La savoureuse histoire du Vacherin Fribourgeois" (qui sera disponible à la commande dès mi-octobre pour CHF 25.-). Il est passionnant pour qui s'intéresse aux transformations récentes de l'agriculture, aux traditions vivantes, à la Gruyère ou tout simplement à l'histoire.



Merci à l'Interprofession du Vacherin Fribourgeois pour cette charmante invitation, je reviens quand vous voulez. Et merci pour votre phénoménal travail qui produit des résultats extraordinaires. Le Vacherin Fribourgeois a un potentiel gigantesque d'expansion et reste mon fromage préféré.

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